"Après les attentats, un vent de panique a soufflé dans les grandes entreprises françaises", affirme Charles Pellegrini



L'Usine Nouvelle - Avez-vous eu des demandes particulières de la part des entreprises suite aux événements de la semaine dernière ?

Charles Pellegrini - Après ces attentats, un vent de panique a soufflé sur plusieurs grandes entreprises françaises qui sont un peu emblématiques. Les sièges des grands médias ont été protégés par la police mais il a fallu faire un tri draconien car tous se sentaient dans le besoin d’être protégés. Du côté des entreprises plus classiques, on a pris des mesures à la hâte pour sécuriser les sièges et rappeler les procédures de base. Les groupes industriels, en particulier dans le secteur de la défense, sont en général sensibilisés mais dans d’autres secteurs de l’économie la prise de conscience n’est pas toujours au niveau.

J’ai eu, depuis la semaine dernière, sept demandes pour la mise en place de protection rapprochée de dirigeants. Cela me rappelle la période des attentats d’Action Directe, après l’assassinat du patron de Renault Georges Besse, tous les patrons voulaient une protection et des voitures blindées. Je trouve aberrant que ces préoccupations n’interviennent qu’après des événements dramatiques. Il n’y a pas de culture de sécurité : certains dirigeants trouvent très amusant de semer leurs gardes du corps, et je vous parle d’expérience.

En quoi consiste la protection rapprochée d’un dirigeant ?

La protection, ce n’est pas seulement le garde du corps au côté de la personne, c’est beaucoup plus large. C’est des contre-filatures derrière sa voiture, une observation des mouvements suspects autour de la résidence ou du siège. Et si le président est vulnérable, sa famille aussi l’est. L’école des enfants fait partie du dispositif. [A ce moment de l’entretien, le téléphone de Charles Pellegrini sonne, c’est le responsable sûreté d’un grand groupe industriel qui lui demande une protection pour son patron. ] Vous voyez ce que je vous disais ! J’ai du mal à croire que ce dirigeant-là ne soit pas déjà sous protection.

Au-delà du dirigeant, quelles sont les mesures à mettre en place pour le reste du personnel ?

Je viens justement d’envoyer une note à une grande compagnie aérienne pour rappeler les procédures. Il faut renforcer les contrôles d’accès afin que ne pénètrent dans l’entreprise que des personnes dont l’identité et le motif sont validés, obliger les coursiers à enlever leurs casques, renforcer le contrôle des livraisons et s’assurer que tous les badges des personnes ayant quitté l’entreprise ont été restaurés.

Vous n’imaginez pas les failles constantes à propos de la gestion des badges. Ils sont distribués à tous, aux stagiaires, il n’y a pas de procédures de restitution stricte. Il y a énormément d’anciens salariés qui reviennent dans leur ancienne entreprise avec leur badge d’accès, pas toujours pour des motifs condamnables d’ailleurs mais ce n’est pas normal.

Pensez-vous que les mesures de prévention vont se renforcer ?

Nos sociétés doivent gérer une contradiction fondamentale : on demande toujours plus de libertés pour l’individu et toujours plus de sécurité pour la société. C’est parfois difficilement conciliable. Vous allez voir que si on met en place une surveillance accrue des sites internet, des gens vont s’élever contre, au nom de leur liberté.

Que pensez-vous de l’évolution des relations entre la sécurité privée et la sécurité publique ?

L’Etat ne peut pas tout supporter et il va inciter les entreprises à mettre en place une surveillance. La sécurité privée a un rôle considérable mais supplétif aux forces publiques, elle n’a pas vocation à intervenir. Lorsque le privé repère des mouvements suspects, il ne peut rien faire, il rapporte ce qu’il a vu. Il faut une collaboration permanente entre les deux. Nos personnels et les dirigeants de nos entreprises sont soumis à une autorisation délivrée par le CNAPS (Conseil national des activités privées de sécurité) qui s’assure du professionnalisme des dirigeants. Nous pouvons nous appuyer sur des personnels très qualifiés et des technologies modernes en matière d’observation et de détection mais nous n’avons pas le droit à du matériel offensif. Face à des individus lourdement armés et déterminés, même une protection policière montre ses limites comme on l’a constaté avec l’attentat à Charlie Hebdo.

Est-ce facile de se procurer une Kalachnikov en France ?

Oui, cela coûte entre 1000 et 3000 euros. Et il y a énormément d’armes en circulation. La chute du Mur de Berlin a ouvert les arsenaux de certains pays comme l’Albanie où 1,5 million d’armes ont disparu. Elles sont toujours dans la nature. Chaque théâtre d’opération crée un afflux. Aujourd’hui les armes viennent de Libye via l’Italie ou Malte.

Propos recueillis par Anne-Sophie Bellaiche

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