L'Hôtel Moderne de la place aux Foires à Moulins : l'histoire d'un hôtel familial racontée par le petit-fils - Moulins (03000)



L'Hôtel Moderne de la place aux Foires à Moulins : l'histoire d'un hôtel familial racontée par le petit-fils

1919-1995. Il y a un siècle, l’Hôtel Moderne, dit Hôtel Darmangeat, se développait à Moulins, place aux Foires (l'actuelle place Jean-Moulin). Il fut une affaire florissante, avant que toute l’économie ne se transforme profondément.

C’est une institution de la place Jean-Moulin, à Moulins, et qui vient juste d’être vendue à un nouvel investisseur. Aujourd’hui Ibis Styles ; hier Hôtel-restaurant de la place aux foires, puis Hôtel Moderne, dit « Hôtel Darmangeat ».
En 1919, le fonds de commerce de l’établissement, alors à l’abandon, est racheté une bouchée de pain – 190 francs (300 € d’aujourd’hui) – par Pierre et Mariette Darmangeat, quand celui-ci revient de la guerre.

L'établissement en 1919 : il n'a plus rien à voir aujourd'hui.

Clientèle d’agriculteurs et de représentants

Épiciers à Châtel-de-Neuvre, ils délaissent oursons en chocolat et boules de gomme, au profit de la gestion, « 365 jours par an, 24 heures sur 24 », d’un hôtel « familial », à la « clientèle populaire », « comme on n’en fait plus beaucoup aujourd’hui », raconte Michel Darmangeat, leur petit-fils, dans un livre qu’il vient de sortir à l’Harmattan, Chez Darmangeat, Histoire intime d’un hôtel familial à Moulins (Allier).

Michel Darmangeat, devant l'hôtel devenu Ibis Styles.

« Ils venaient de la campagne. Ils étaient durs au travail, jamais malades. Mariette faisait la cuisine, Pierre s’occupait des achats et des relations publiques. Il y avait huit chambres au départ, puis c’est passé à 26 chambres en 1932 du côté de la rue Louis-Blanc. L’hôtel est alors apparu au guide Michelin. Puis on est passé à 50 chambres en 1934. Le restaurant était classique, copieux et bon. Les repas étaient entre 3,50 et 15 francs ; les chambres entre 15 et 25 francs ».

A qui l'Hôtel de Paris et l'Ibis Styles de Moulins ont-ils été vendus ?

Pierre, avec son fils André, sa fille Renée, sa femme Mariette, en 1930

L’affaire s’est développée « grâce à l’activité agricole de la place aux Foires, puis ensuite avec les VRP, les représentants de commerce. Il faut parler aussi du concours agricole, toute la ville était fermée, il y avait des activités et animations partout. A l’hôtel, on logeait à pied et à cheval. Il y avait des écuries. Mes grands-parents gardaient dans leur chambre les valises pleines de billets destinées aux transactions ».

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Dès 1936 : cinquante chambres et c’est complet

Un temps que les moins de vingt ans, ou même de soixante ans ne peuvent pas connaître. Tous les mardis et vendredis, c’était jour de foire sur la place. Après 1936, avec les congés payés, c’était affluence pour les vacances, via la Nationale 7.
« Pendant les Trente Glorieuses, on affichait toujours complet avec 50 chambres. Les autres hôtels aussi. Moulins, c’était une ville-étape ».
La famille s’étoffe. André, le fils de Pierre et Mariette, se marie, a des enfants ; Solange (1932) et Michel (1937). « On est tous les deux nés dans la chambre qui fait l’angle, au premier étage. »

Quand Michel Darmangeat était petit, il y avait bien « une quinzaine de salariés, sans la famille ».

Des membres du personnel de l'hôtel photographiés dans les années 1930.

Dans la famille Darmangeat, vous pouviez demander Renée sa tante, ses grands-parents Pierre et Mariette, André son père, passé « cuistot et gestionnaire », sa mère Marie à la réception, lui et sa sœur Solange, chargés de faire les guides pour les clients jusqu’à leur chambre, ou envoyés « quand il y avait une course à faire ». Les vacances de Pâques, « je les passais à mettre les fûts de beaujolais en bouteille. C’était ça être fils d’hôteliers restaurateurs ! »

Quelques minutes avant le service, avec à droite, Marie, la mère de Michel Darmangeat.

Pour le distraire du travail, le garçon voyait « arriver des gens connus » : « L’équipe de foot de Reims, les coureurs du Tour de France, qui faisaient des critériums après Tours, des artistes de variété, comme l’animateur radio Zappy Max [décédé en juin dernier, NDLR]. J’aimais ça. Il y avait beaucoup de gens sympas, des représentants, avec qui je jouais au ping-pong, à la belote… ».
Et puis vinrent les années 1970 et 1980. Le choc pétrolier, la concentration des entreprises. « Les VRP sont devenus moins nombreux. Avant, par exemple on en avait un qui représentait Martini, un autre Dubonnet, etc. On n’en a eu plus qu’un. Et son secteur s’est agrandi. Les VRP restaient moins longtemps. Les nuitées se sont raccourcies. Ajoutez à cela le monde agricole qui a considérablement changé. Il n’y a plus eu le coq au vin, l’andouillette ou la tête de veau pour sceller une vente tard le soir… »

Sans oublier la construction de la salle des fêtes de Moulins, qui enlève autant de clientèle à l’établissement, qui avait ouvert une salle de réception et bals en 1934.

Et la Nationale 7 a été supplantée par l’autoroute A6 dans les années 1965-1970 pour aller dans le sud. Les embouteillages d’août ont disparu.

Finis le coq au vin, l’andouillette et la tête de veau pour sceller une vente !

Le marché aux porcs avait lieu tous les mardis et les vendredis, place aux Foires. Reconnaissez-vous la place Jean-Moulin ?

Bref, la dégringolade : « En quelques années, tous les éléments qui ont participé au succès de l’entreprise ont éclaté. Alors, on a essayé de faire avec et on a diminué le personnel. Il n’y avait pas que nous qui étions en difficulté. Par exemple l’Hôtel de l’agriculture, à qui nous envoyions des clients, a disparu, c’est l’Envol aujourd’hui, en face du lycée Banville. Passage d’Allier, il y avait l’Hôtel de l’Allier, aussi. Disparu. L’Hôtel de Paris ? Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il y a un paquet d’établissements qui ont fermé en centre-ville, l’Oasis, la Taverne de France, l’Auberge Robinson, l’Hôtel du Cantal place Garibaldi, l’Hôtel du Dauphin… ».

Kyriad, Balladins, Ibis...

Bon an, mal an, l’Hôtel Moderne survit.

Et puis : « Ma tante vend les murs. Les nouveaux propriétaires quadruplent le loyer. Ma mère décède en 1982. Le fonds de commerce, qui était à mon père, est vendu à un jeune couple, en 1995. Ils tiennent un an. C’est là que l’hôtel est repris par Kyriad, sous la houlette de Philippe Boismenu, déjà?! Puis cela devint les Balladins. Pour finalement revenir à Monsieur Boismenu ». Qui a vendu récemment à HPVA Hôtels.
Même s’il n’y a pas travaillé adulte – Michel Darmangeat s’était échappé pour se faire embaucher chez Thomson à Yzeure –, le Moulinois reste « attaché à cet hôtel. Ce type d’établissement familial a été balayé du paysage. Tous mes copains de l’école hôtelière, leurs affaires sont finies aujourd’hui ».

Une autre époque.

Mathilde Duchatelle

Edité à l’Harmattan, Chez Darmangeat, Histoire intime d’un hôtel familial à Moulins (Allier) 26 €, disponible à Moulins au Totem, Au Moulins aux lettres, à l’Espace culturel Leclerc.


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