Cuisiner du riz dans son restaurant ? Lionel Beccat n'oserait jamais. Ce chef, marseillais d'origine, s'est pourtant formé pendant seize ans dans la légendaire maison Troisgros. À Tokyo, son restaurant Esquisse, niché au neuvième étage d'une tour du quartier très chic de Ginza, a deux étoiles au Guide Michelin. Seulement voilà, il lui « faudrait encore vingt ans d'apprentissage pour oser en servir à des Japonais, confesse-t-il. Il faut respecter le goût du riz car il se suffit à lui-même. C'est un goût pour se calmer : quand on le ressent, plus rien n'est grave ». Il est toujours surprenant, d'un point de vue français, de constater l'attention et le respect des Japonais vis-à-vis de cette céréale, trésor national. Chez nous, c'est un simple accompagnement, un mets populaire, voire carrément pauvre. « Ici, c'est un plat à part entière. Et même plus que ça : c'est un symbole, une religion, c'est ce qui a gardé la nation vivante dans les temps difficiles. Le riz, au Japon, c'est plus sacré que l'empereur. »

Un céréale fascinant 

Quel meilleur endroit alors pour apprendre les secrets de cette céréale fascinante ? C'est tout l'objet du voyage qui a fait s'envoler Anne-Sophie Pic, la cheffe la plus étoilée au monde, de Valence jusqu'à Osaka, un matin ensoleillé d'octobre. Voilà dix ans qu'elle n'était pas retournée dans ce pays où elle a étudié en 1991. Elle y avait découvert « ses rituels, ses bains japonais, ses cérémonies du thé, mais aussi la fraîcheur et le fumé du bouillon dashi, l'amertume du matcha ». Des saveurs qui, plus tard, allaient infuser pro-fondément sa cuisine. Pour ce retour aux sources de son inspiration, nous traversons ensemble les magnifiques rizières de Nara, ancienne cité impériale au pied de la colline Miwa, d'où coule l'eau la plus pure de l'archipel. Premier enseignement : le riz, c'est d'abord une histoire d'eau. Celle qui nourrit la céréale, celle qui la cuit, doit être la plus douce possible. On arpente les toutes petites parcelles de la ferme familiale Okamoto. Aucun lampadaire à la ronde : seule la lumière de la lune peut éclairer la céréale sans agresser ses acides aminés. C'est là que se fournit Yosuke Suga, disciple de Joël Robuchon et chef de Sugalabo à Tokyo, élu meilleur restaurant du monde par le classement La Liste en 2019. Chaussé d'une paire de bottes et armé d'une faucille, il entame, avec Anne-Sophie Pic, la récolte du riz qu' ils cuisineront ensemble le lendemain.

DSC_7681

©Maison Krug

Certains producteurs préfèrent laisser reposer le riz quelques jours, dans le noir, pour le laisser se remettre du « traumatisme » de l'arrachage : une approche shintoïste et millénaire du vivant, qui, en Occident, séduit aussi toute une nouvelle génération de cuisiniers et de producteurs à la recherche d'alternatives à l'agriculture de masse. Dans le même esprit, Yosuke Suga et Anne-Sophie Pic ont alors sublimé ce riz magnifique de mille façons dans le cadre d'un dîner à quatre mains : six plats pensés en accords mets-vins avec les champagnes de la maison Krug, car le riz est aussi noble que ce vin envié du monde entier (et qui rend fous les Japonais). C'est que la texture du riz cuit, son côté fondant, gourmand, s'accorde à merveille avec l'effervescence du champagne. Ainsi, le bar au caviar, champagne et poudré de rose, plat signature d'Anne - Sophie Pic réalisé en hommage à son père, se voit cuisiné dans de la lie de saké, résidu lactique du brassage de l'alcool de riz. « Les notes florales de la rose répondent aux notes de fleurs blanches séchées du Krug tandis que les bulles du champagne contrastent avec l'onctuosité de la lie de saké. » Yosuke Suga, lui, a imaginé un poulet extraordinairement fondant, cuit en croûte de sel et paille de riz, farci au riz pilaf, plat rêvé de repas de Noël dont il nous propose en exclusivité une recette simplifiée. Mais si les notes torréfiées du riz pilaf et les arômes de cèpe se marient à merveille avec le champagne, on peut aussi toucher l'extase avec un simple bol de riz parfaitement cuit car, comme le proclamait un moine japonais, « rien en termes d'émotions ne pourra surpasser un bol de riz blanc brûlant dans un soir d'hiver glacial ».

DSC_8430

©Maison Krug

esquissetokyo.com/info anne-sophie-pic.com sugalabo.com

Le conseil de Lionel Beccat                                                                                               

« En France, où l'eau du robinet a un PH très faible, il vaut mieux sacrifier une bouteille de Volvic pour cuire le riz. Une eau trop dure va contracter la coque de la céréale et ne pourra pas la pénétrer. Jusqu'au moment où elle se brise et là, le riz, c'est de la purée. »                                                                                                                                       

La recette à la maison de Lionel Beccat                                                           

« J'ai un super riz que je me fais livrer de la côte de Niigata. Quand il est brûlant, je le laisse reposer. J'aime ajouter un peu d'huile d'olive sicilienne amère et râper de la poutargue maison dessus. »

Pour une cuisson parfaite sans aucun matériel 

Ingrédients :  250 g de riz, 1/2 cuil. à café de sel, 2 bouteilles de Volvic (ou 2 l d'eau filtrée à la carafe)

Préparation 1. Laver le riz dans trois bains successifs d'eau de Volvic ou filtrée. Pour le dernier bain, laisser le riz reposer pendant 30 mn dans un volume d'eau équivalent à cinq fois le volume de riz. Il cuira plus facilement et son goût sera plus doux.

2. Dans une casserole, ajouter le riz rincé, 300 ml de Volvic, le sel, mélanger légèrement.

3. Porter à ébullition, puis couvrir hermétiquement et réduire immédiatement le feu au minimum. Laisser cuire, sans jamais ouvrir le couvercle, pendant 18 mn.

4. Enlever la casserole du feu, laisser reposer pendant 15 mn. Découvrir et aérer le riz à l'aide d'une fourchette.

Le plat de fêtes de Yosuke Suga

Volaille en croûte de sel farcie au riz pilaf, aux cèpes et au foie gras, sauce au vin jaune 

DSC_0034

©Maison Krug

INGRÉDIENTS POUR 4 PERSONNES

(Prévoir une balance de cuisine) 1 volaille fermière de 1,4 kg, 200 g de crépines.  

LA CROÛTE DE SEL 1 kg de gros sel, 1,1 kg de farine T55, 310 g de blanc d'œuf, 35 g de paille de riz.

LA SAUCE AU VIN JAUNE 250 g de carottes, 250 g de champignons de Paris, 30 g de beurre, 240 cl de vin jaune, 500 g de bouillon de poulet, 500 g de crème ,50 g de roux, Sel, poivre,  5 g de poudre de curry.

LE RIZ PILAF 160 g de riz de Camargue, 15 g de beurre, 20 g d'oignons émincés, 230 g de bouillon de poulet, Thym, Sel, poivre. 

LA FARCE Le riz pilaf, 60 g de marrons cuits, 45 g de foie gras, 60 g de cèpes, Persil plat, Beurre, Sel, poivre.

PRÉPARATION

LA PÂTE À CROÛTE DE SEL  Mettre les ingrédients dans un bol de robot avec 370 cl d'eau, mélanger dans le mixeur. Quand une boule se forme au bout du crochet, c'est prêt. Laisser la pâte reposer pendant 1 h.

LA SAUCE AU VIN JAUNE  Émincer les carottes et les champignons de Paris, les faire suer au beurre dans une casserole. Mouiller avec le vin jaune et le bouillon de poulet. Quand la préparation a réduit de moitié, ajouter la crème et cuire à feu doux pendant 15 mn. Filtrer dans un chinois, lier avec le roux et assaisonner avec le sel, le poivre et la poudre de curry.

LE RIZ PILAF  Préchauffer le four à 200 °C. Faire fondre le beurre dans une casserole, ajouter les oignons et faire cuire pendant 2-3 mn en remuant. Verser le riz et continuer la cuisson pendant 2-3 mn en brassant. Ajouter le bouillon de poulet et le thym. Porter à ébullition, couvrir et continuer la cuisson au four à 200 °C pendant 20 mn environ.

LA FARCE  Faire sauter au beurre les marrons, le foie gras et les cèpes coupés en cubes de 7 mm dans une poêle. Ajouter le riz pilaf, faire encore sauter. Saler et poivrer en fin de cuisson avant de mélanger le persil plat haché.

LA VOLAILLE  Remplir la volaille avec la farce, la brider avec une ficelle. L'envelopper avec la crépine. Étaler un peu de pâte sur une plaque et y déposer la volaille avant de la recouvrir entièrement de pâte. Enfourner à 180 °C pour 1 h. Au terme de la cuisson, laisser la volaille 30 mn de plus dans le four éteint. Découper le poulet, servir avec la farce et la sauce au vin jaune.