Tous à table. Salé ou sucré, ne laissons pas retomber le soufflé ! - Paris-Normandie



Tous à table. Salé ou sucré, ne laissons pas retomber le soufflé !

À la fois classique de la cuisine familiale et morceau de bravoure de la grande cuisine, le soufflé a pourtant tendance à disparaître des cartes des restaurants. Il faut dire que le servir avant qu’il ne retombe est un exercice qui peut être pour le moins périlleux. Sa préparation est pourtant simple en apparence : une béchamel additionnée de jaune d’œuf ou une crème pâtissière parfumée dans laquelle on incorpore délicatement des blancs d’œufs battus en neige. Résumé ainsi, il n’y a rien de complexe. C’est la cuisson qui va tout changer et faire monter le soufflé. Et là, la réussite de l’opération suppose de la délicatesse et du savoir-faire.

De la chimie dans la casserole

Les écueils sont nombreux. Le moule n’est pas assez ou mal beurré et l’appareil va mal monter ou de travers. Le four n’est pas assez chaud, la croûte ne se formera pas assez rapidement, la vapeur d’eau qui doit se développer ne sera pas emprisonnée et s’échappera sans permettre à l’appareil de gonfler. Bref tout est une question de dosage précis et de chimie culinaire.

Le blanc d’œuf à la surface du soufflé coagule au contact de la chaleur, il va donc former une croûte. L’eau contenue dans le lait et le jaune d’œuf devient vapeur avec la chaleur mais cette vapeur est retenue par la croûte et ainsi la pousse et fait monter le soufflé. Ensuite, la chaleur apportée par la vapeur chaude se répand amenant l’albumine de l’ensemble des blancs d’œuf à coaguler, enfermant ainsi dans ses bulles la vapeur d’eau. Enfin l’amidon de la farine qui a servi à faire le roux de la béchamel, solidifie l’ensemble et en principe permet au soufflé de ne pas redescendre.

L’enchantement des gastronomes

Cette merveille de la technologie culinaire est apparue au XVIIIe siècle. On attribue parfois son invention à Antoine Beauvilliers qui, à la veille de la Révolution française, en proposait dans son Restaurant du palais royal. Il s’agissait d’un soufflé salé vraisemblablement avec des perdreaux. Rapidement des versions sucrées en sont proposées tout particulièrement par Marie-Antoine Carême dans son « Art de la cuisine française au XIXe siècle », ouvrage en cinq volumes qui constitue la première somme de la gastronomie française. Le soufflé est alors au moka, au cacao, à la fleur d’oranger, au caramel et à bien d’autres choses. Ce plat enchante les gastronomes qui trouvent dans cette préparation un formidable exhausteur de saveurs.

Les techniques ont aussi été un élément important du développement de la mode des soufflés, pas les batteurs à œufs plus sophistiqués mais plus simplement les fours fermés qui permettaient de mieux contrôler la cuisson et d’avoir des soufflés qui méritent bien leur nom.

« À la fois très simple et très difficile »

À 26 ans, Benjamin Bouloché s’est vu confier les rênes de la brasserie Victor, le restaurant attenant à l’Hôtel de Dieppe. Il doit alors faire sien l’héritage de cette honorable maison et perpétuer les tradition de ce restaurant, à commencer par le caneton à la rouennaise et évidemment le soufflé du Président.

Que représente pour vous le fameux soufflé du Président de la brasserie Victor ?

« C’est un dessert inscrit à la carte depuis que Michel Gueret l’a mis au point. C’était pour une réception autour de René Coty et Michel Gueret a préparé ce soufflé pour 160 personnes. C’est une vraie performance. Le conserver à la carte est donc indispensable. On pense juste à des petites transformations en gardant les marqueurs qui font ce dessert. Dans la recette originale, il s’agit d’un biscuit à la cuiller imbibé de calvados autour duquel on met un appareil à soufflé parfumé au Grand-Marnier. On pense, à l’avenir, ne le faire qu’au Grand-Marnier et servir une glace au calvados à côté. Par ailleurs, mais c’est très technique, on aimerait faire un flocage « 1880 » sur le dessus.

En même temps il ne faut pas trop casser les codes que les amateurs et les familles d’habitués veulent retrouver quand ils viennent dans notre restaurant. Ce qui m’intéresse dans un soufflé c’est moins le parfum que la technicité. »

Quels sont les secrets de la réussite d’un soufflé ?

« Un soufflé, c’est à la fois très simple et très difficile. Particulièrement sur le graissage du moule. Il faut utiliser un beurre pommade, il faut bien lisser le dessus du soufflé et pour qu’il monte bien uniformément comme une belle toque, on passe le pouce autour du ramequin pour qu’il n’y ait pas de résidu de l’appareil qui perturbe la montée. Après on le met au réfrigérateur pour que le beurre se fige et soit à la même température que l’appareil. Pour la cuisson aussi il faut faire attention, il ne faut pas trop de ventilation. Le four à chaleur tournante est déconseillé. »

Et c’est un dessert que vous servez encore souvent ?

« Oui, par exemple chaque fois que des clients prennent un caneton au sang, on est presque certain qu’ils vont prendre le soufflé du Président. Et au delà, on en sert très souvent car ce n’est pas courant dans une brasserie de proposer un soufflé.

Pour compléter la carte, j’ai commencé à imaginer un nouveau soufflé mais très différent car il s’agira d’un soufflé glacé, ce qui n’est pas un véritable soufflé. Je voudrais le faire avec du pamplemousse et le mettre directement dans le fruit. »

Comment faire tenir un soufflé ?

Voilà une question qui peut hanter les cuisiniers mais aussi les chimistes comme le renommé Hervé This, professeur au Collège de France en charge de la cuisine moléculaire. Faut-il le préparer à l’avance et laisser au bain-marie pour qu’il monte lentement comme le conseillent certains chefs ? Faut-il le mettre au réfrigérateur avant de le passer au four comme le suggèrent d’autres ? Chacun semble avoir sa méthode. Pourtant, les expériences menées par Hervé This montrent que la meilleure façon est de la passer au four immédiatement après le montage. À vous de tenter l’expérience


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